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La Source : immersion dans les eaux de la création à la Fondation Carmignac

Dorothée Saillard 26 septembre 2019
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Max Ernst, Lewis Carroll’s Wunderhorn, 1970 © Adagp, Paris, 2019 - Fabrice Hyber, De l’un l’autre, 2019 (détail) © Adagp, Paris, 2019

Chiara Parisi, commissaire de l’exposition, a imaginé La Source comme une invitation à se rapprocher un peu plus des œuvres. L’île de Porquerolles, un bois, des jardins et la Villa avec son espace d’exposition en partie souterrain, mais inondé de lumière. Ce paysage accueille une soixantaine d’œuvres permanentes, éphémères, tirées de la Collection ou issues de prêts et réunit des artistes comme Maurizio Cattelan, Ed Ruscha, Vhils, Jean Denant, George Condo

Quel a été votre cheminement depuis votre perception du site de la Fondation Carmignac jusqu’à l’organisation de l’exposition La Source ?

Ce sont d’abord les rencontres avec Édouard et Charles Carmignac qui n’ont cessé de me stimuler, de nos premiers échanges aux derniers moments pendant le montage de l’exposition. Dès le début ce qui nous a relié, c’est le sujet du paysage, leur motivation pour créer un lieu d’art et d’architecture sur l’île de Porquerolles.

Pour moi, c’était aussi une manière de repenser à l’île que j’ai dirigée pendant sept ans, le Centre international d’art et du paysage à Vassivière en Limousin. Nos premières conversations ont mis en avant cette envie de travailler avec ce grand et très extensible concept de « paysage ».

Qu’est-ce qu’un paysage ? Un environnement ? Un décor ? Un voyage intérieur ? La liberté de l’imaginaire ?

En se questionnant sur les contours de cette notion, l’idée de « source » s’est naturellement imposée, d’abord comme un sujet classique de l’histoire de l’art (avec les grandes œuvres auxquelles on pense tous immédiatement, celle d’Ingres, de Courbet…), puis comme l’appréhension de la pensée première qui préside la construction d’une collection – publique ou privée – avec toujours l’ambition du bâtisseur qui veut s’inscrire dans l’histoire.

Évidemment, il y a la rencontre et l’assimilation de la collection Carmignac, la connaissance de l’île, le cheminement vers la Villa, son architecture et son parcours si particuliers, toujours en lien avec l’extérieur. Je crois beaucoup à « l’intensité des intentions » quel que soit le domaine d’action.

Vue de l’exposition La Source. Œuvres de Elmgreen & Dragset, Cyprien Gaillard, El Anatsui et De Waine Valentine

Vous avez choisi deux axes pour explorer le thème de la source : la figure de la femme et l’abstraction, dites-nous en plus…

Ces deux axes sont la « source » du projet, ils sont ce que j’ai pu percevoir de la Collection.

Travailler avec une collection, c’est tout d’abord parvenir à établir une forme d’intimité. Pendant plus de six mois, j’ai vécu avec ces œuvres de manière très quotidienne, je me suis plongée « dans » cette collection afin de tenter de me l’approprier totalement.

A partir de ces deux axes, j’ai commencé à développer l’exposition en dialogue avec les œuvres qui ont été installées dans le jardin et à l’intérieur du bâtiment.  C’est ainsi que j’ai invité d’autres artistes avec la certitude que leur vision était nécessaire sur cette question de la source.

Et si vous deviez vous attarder sur une œuvre de votre choix parmi celles exposées, qu’en diriez-vous ?

Je pense à Liam Everett à plus d’un titre. Parce qu’il vient de San Francisco et que la Californie est très présente dans la Collection ; parce qu’il est un jeune artiste et que la collection se veut profondément vivante, en lien avec la recherche et parce qu’il est l’une des incarnations de la peinture contemporaine que j’aime tant.

Dans son questionnement, il est proche de Louis Cane qui est aussi présent dans l’exposition et je suis convaincue qu’il est une des clés fondamentales pour comprendre Sarah Lucas (qui présente à l’étage sa première exposition personnelle en France) – grande artiste, aujourd’hui devenue majeure pour toute une nouvelle génération d’artistes.

Sarah Lucas – Vue de l’exposition

Le visiteur fait l’expérience d’un ancrage, d’une connexion multiple aussi bien à l’espace, à la nature, aux racines, et à soi ? 

L’exposition incarne la fluidité et le mouvement. Elle offre ainsi au visiteur l’expérience d’un espace entièrement ouvert, libre, qui favorise les confrontations avec les œuvres.

Conçu comme un seul et même ensemble,le bâtiment – habité par les différentes personnalités et visions des artistes – devient un parcours initiatique qui ne demande qu’à s’ouvrir vers l’extérieur jusque dans la forêt.

L’exposition se visite pieds nus : cette connexion au sol renforce la proximité et l’intimité du rapport à la nature comme à l’art ?

Se libérer de ses chaussures est une expérience qui correspond à l’expérience insulaire de Porquerolles. Cette proximité avec le sol est d’autant plus évidente que nous sommes sur un site dont la flore est préservée.

L’idée de demander aux visiteurs de se déchausser peut paraître un peu extravagante– un geste très intime qui relève de l’espace domestique (et non muséal) mais une fois pieds-nus, la sensation est immédiate, vous vous sentez plus libre, un confort inhabituel dans un musée : l’expérience que vous allez vivre est liée à ce que vous ressentez physiquement et à ce que vous voyez.

C’est très intense de découvrir de cette manière et de si près (sans protection) des œuvres majeures de l’histoire de l’art contemporain comme celles de Gerhard Richter, Sigmar Polke mais aussi des créations plus récentes ou plus intimistes comme celle d’Annette Messager.

A gauche : Louis Cane, Sol/mur (bleu), 1973 © Adagp, Paris, 2019 – A droite : Ed Ruscha, Slave/Master Complex, 1997

A la Fondation Carmignac, on accède aux œuvres d’art par la nature ou inversement : cette imbrication nourrit le dialogue sur la notion de création et de source entre la main de l’homme – des artistes – et la nature ?

Ce dialogue existe déjà, par la place que la Fondation occupe dans l’espace de l’île, elle s’inscrit dans le parc national de Port-Cros.

On retrouve ces dialogues, ces imbrications de matières dans l’exposition La Source avec Rosa Barba, on gonfle d’air une structure dans une maison, on se retrouve captivés par le flux de la fontaine de Fabrice Hyber, on s’immerge dans le talc de Cildo Meireles…

En s’inspirant du jardin, l’exposition est conçue comme un parcours, un cheminement plutôt avec les œuvres mais aussi les éléments naturels que sont la lumière, l’environnement végétal extérieur, la mer plus loin.

Sur l’île de Porquerolles, la nature est profondément platonicienne, elle est forcément et naturellement bonne ; on se doit de lui ressembler. La Fondation fait parler la nature, elle invite des artistes à produire des pièces en résonance avec cette dimension philosophique.

A droite : Roy Lichtenstein, Landscape with Scholar’s Rock, 1996 © Estate of Roy Lichtenstein New-York – Adagp, Paris, 2019 – A gauche : Maurizio Cattelan, Untitled, 2019

Solliciter nos consciences et nos sens de cette façon résonne particulièrement face aux préoccupations environnementales contemporaines…

La Fondation sollicite l’essence, elle sollicite un équilibre entre l’homme et la nature et rappelle surtout qu’elle peut exister dans ce cheminent avec d’autres entités. Les réserves naturelles que la Fondation a établies, en associant le travail de l’homme et de la nature nous amènent à nous interroger sur un monde futur.

Peut-on imaginer qu’après avoir exploré les limites de l’art via l’art contemporain, le questionnement sur nos propres limites devienne un thème majeur pour les artistes ?

La problématique des limites de l’art est dépassée depuis des décennies. Depuis toujours, l’art travaille sur les tabous humains, centraux dans le questionnement d’artistes comme Caravage. Dans l’exposition « la Source », on pense évidemment à Maurizio Cattelan ou à Annette Messager… Ces artistes, à différents moments, ont bousculé les consciences et les mentalités, ils ont conquis des espaces de liberté, ils ont repoussé les frontières de ce qui pouvait être montré pour dépasser les limites imposées.

Propos recueillis par Dorothée Saillard

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